du 16 décembre 2003

Le paradoxe à la française

Elle n'a peut-être pas les meilleures joueuses, n'a sans doute pas les meilleures bases techniques mais l'équipe de France féminine est bien devenue championne du monde de handball dimanche à Zagreb

al161203
L'Alsacienne Sophie Herbrecht s'est affirmée comme le talent sûr de la nouvelle génération du handball français.
Ce titre, le premier chez les dames après deux médailles d'or gagnées par les messieurs en 1995 et 2001, souligne tout le paradoxe du jeu à la française. Chez les Bleues, point de grosse marqueuse à la Bojana Radulovics, la vedette hongroise, ou à la Olena Tsygitsa du côté de l'Ukraine. La star, en équipe de France, c'est bien la solidarité collective, avec une base de jeu qui repose sur la solidité défensive, la montée de balle rapide et l'art consommé de faire déjouer l'adversaire. « On joue n'importe comment, on fait n'importe quoi et on est championnes du monde, s'amuse l'arrière française Sandrine Delerce. C'est vrai qu'on balbutie encore notre handball, qu'on n'est pas sûres de nous dans le jeu collectif d'attaque et qu'il nous manque pas mal de bases. » Malgré le retour encourageant de la buteuse maison Leïla Lejeune après sa longue blessure au tendon d'Achille gauche, les phases offensives ont souvent viré au chemin de croix. Les arbitres ont eu beau lever le bras pour signaler aux Bleues qu'elles tardaient à se mettre en oeuvre, l'attaque est souvent restée en panne. Chaque joueuse a dû alors s'employer pour sauver la mise. Parmi elles, la jeune demi-centre de Besançon (D1) Sophie Herbrecht s'est affirmée comme le talent sûr de la nouvelle génération. Pleine de sang-froid malgré ses 21 ans, elle a souvent débloqué des situations défavorables.

La carte Lejeune

« La première semaine, j'ai aidé l'équipe à prendre confiance. En deuxième semaine, j'ai joué un rôle peut-être moins important mais en défense, j'étais présente. Même si sur ce dernier match je n'ai pas énormément joué, je pense avoir apporté ma petite pierre à cette victoire », commente-t-elle. Outre la révélation Herbrecht, le Mondial a permis d'établir quelques confirmations, comme l'infatigable tête de proue de la défense Véronique Pecqueux-Rolland, ou encore la gardienne Valérie Nicolas, qui, titillée par la réussite de sa doublure Joanne Dudziak au début du Mondial, est montée en puissance pour terminer en apothéose le soir de la finale.
Élue tout simplement meilleure joueuse de la quinzaine croate par l'organisation, elle a récolté les fruits d'une ascension qui l'a amenée cette saison à quitter Besançon pour le championnat danois, réputé le meilleur au monde. Quelles que soient les caractéristiques du collectif français, il faut rappeler que son destin dans ce Mondial n'a tenu qu'à un fil, ou plutôt à deux buts, deux penalties de Lejeune : le premier qui a creusé un écart de deux unités en fin de match de poule contre la Russie, championne du monde 2001, et le second dimanche en finale face à la Hongrie qui a ouvert le chemin des prolongations. Sans ces deux buts, la France aurait terminé comme à son habitude depuis 1999 parmi les meilleurs, mais elle n'aurait pas pu devenir « la » meilleure équipe du Mondial et assuré sa participation aux jeux Olympiques d'Athènes, malgré des défauts totalement assumés.

PAROLES

Sandrine Delerce (arrière de l'équipe de France et joueuse de l'ESBF) : « Nous n'avons rien lâché, nous y a toujours cru et nous sommes restées concentrées et soudées même avec une Isa (Wendling) qui prend trois fois deux minutes relativement tôt. Myriam Korfanty a été énorme en défense, elle a récupéré je ne sais combien de ballons. Les Hongroises ont eu peur de gagner, comme nous avons eu peur de jouer cette finale en début du match. Si elles ne voulaient pas la gagner, nous, nous l'avons prise. Une fois que nous avons obtenu la prolongation quand Leïla a mis le penalty, j'ai dit que nous ne pouvions plus perdre. Ce n'était pas possible ! »

Valérie Nicolas (gardienne de but de l'équipe de France, ancienne joueuse bisontine) : « Il y a quelque chose qui a fait un déclic. Etant donné que je n'avais pas été bonne au départ, ça ne pouvait pas être pire. Je me suis reprise, je me suis reconcentrée, et puis ça a marché. Je ne peux pas l'expliquer, c'est la magie, c'est la beauté du sport. On a vu une grande équipe de France. »

Olivier Krumbholz (sélectionneur de l'équipe de France) : « Elles m'ont plus qu'épaté. C'est fabuleux, c'est extraordinaire ! Je ne sais pas si dans ma vie je pourrai revivre un match comme celui-là. On a joué le coup jusqu'au bout sur le banc de touche, et quand on a vu que ça revenait de but en but, les Hongroises ont douté c…s Le public a beaucoup sifflé, il y a eu beaucoup de bruit, ça a été vraiment très pénible à gérer et aussi pour les arbitres qui s'en sont sortis moyennement dans ce contexte. Le dernier penalty sorti par Valérie (Nicolas) est justifié. Elle fait un Mondial énorme et même si Palinger était extraordinaire aujourd'hui (N.D.L.R. : dimanche), je crois que c'est la meilleure du Mondial. Mais un titre de champion du monde, c'est bien plus ! »

André Amiel (président de la Fédération française de handball) : « Elles se sont vraiment battues, ce qu'elles ont fait est remarquable. C'est la douce incertitude du sport. J'ai plus que tremblé et à un moment, j'ai même cru que c'était plié. On a des difficultés et puis tout s'enchaîne. Elles ont réussi avec le coeur, la réussite a joué aussi. Les arbitres ont été très sévères avec nous au début. Ils ont dû croire eux aussi que le match était plié, et ils ont essayé d'équilibrer. Devant la furia française, ils se sont retrouvés avec une prolongation qu'ils n'attendaient pas. Ce troisième titre de champion du monde est un aboutissement. Être champion en garçons et en filles, c'est assez exceptionnel ! »

Herbrecht : « Un soulagement ! »

Ce titre, elles le voulaient, elles l'ont eu. Championnes du monde pour la première fois de leur histoire, les handballeuses françaises peuvent aujourd'hui savourer ce moment de gloire qui restera sans doute à jamais gravé dans les mémoires. « Vivre des moments comme ceux-là n'est forcément que du bonheur », confie Sophie Herbrecht, la voix encore ivre de… bonheur. Et comment dans cet élan de joie et de gaieté ne pas rendre hommage à ceux qui lui ont tout appris : « Ce titre, je le dédie bien sûr en premier à ma famille. Mais je veux remercier aussi tous ceux qui m'ont permis d'en arriver là aujourd'hui. Lorsque j'évoluais en Alsace, je suis toujours tombée sur de supers entraîneurs. Si je détiens à l'heure actuelle une base solide au niveau technique, c'est en partie grâce à eux. » Néanmoins, c'est au prix d'un combat physique de classe mondiale et d'un parcours souvent parsemé d'embûches que les joueuses d'Olivier Krumbholz sont allées chercher cette médaille d'or. « Franchement, nous n'avons jamais douté durant ce Mondial, pas même face aux Hongroises, certifie l'Alsacienne. La confiance a toujours été de mise et ça a payé. » Et de préciser : « Contrairement à ce que les Français peuvent penser, c'est le match contre la Russie en demi-finale qui a été le plus intense en émotions. La finale, elle, était plus un soulagement. » Incontestablement, l'Alsace vient de trouver son égérie.

Saïd Messerli

Sandrine Delerce (en haut) tire devant la Hongroise Anita Gorbicz (à gauche).
Photo prise le 14 décembre 2003/REUTERS/ Nikola Solic

mardi 16 décembre 2003 13h36

Les championnes du monde de handball reçues à Matignon

Jean-Pierre Raffarin a reçu ce matin à Matignon l'équipe de France championne du monde de handball féminin, qui a battu dimanche la Hongrie au terme d'un match à suspens. La capitaine de l'équipe de France a remis au Premier ministre un maillot à son nom, portant le numéro 86 - celui de son département d'origine, la Vienne.

Le reportage à Matignon de Caroline Roux.

Le Premier ministre a raconté qu'il avait commencé à regarder cette finale à 20h20. "Ça devait être 25-19 à peu près (pour la Hongrie)", a-t-il déclaré. "Je me suis dit c'est vraiment foutu. Je suis resté quand même."

Il a félicité les 16 joueuses pour leur performance "sportive" et "humaine" - elles ont égalisé dans les dernières secondes du temps réglementaire avant de s'imposer dans les prolongations - et pour leur qualification pour les Jeux olympiques d'Athènes.

"C'est aussi pour l'ensemble du sport féminin une victoire très importante dans une période où les femmes françaises, en sport, ont plutôt en ce moment le vent en poupe", a souligné Jean-Pierre Raffarin. "Heureusement que les sportifs sont aussi sportives parce que cela fait pour la France de belles victoires."

"Je n'ai qu'un mot à vous dire (...) Merci", a-t-il conclu, en présence du ministre des Sports, Jean-François Lamour, et des entraîneurs de l'équipe.

La capitaine de l'équipe de France, Stéphanie Cano, avait auparavant remis au Premier ministre un maillot à son nom, portant le numéro 86 - celui de son département d'origine, la Vienne.